2. EXtrAits du livre...
1er extrait.    

      Birgit Lindberg, la découverte brune et potelée de Pierre arrive vers Marie à grandes enjambées. Elle est remontée comme une pendule. Marie continue de rassembler les dossiers éparpillés sur la longue table du jury maintenant désertée mais pressent le mauvais quart d’heure. Elle continue son rangement lorsque la fille s’arrête à deux centimètres d’elle. Elle siffle, 
- Vous rangez vos affaires ? 
- … A ton avis ?
- Où est le mec ?
- Quel mec ?
Marie a marqué une pose avant de répéter « mec ». Elle veut signifier à la fille qu’elle n’aime pas sa façon de parler.
- Le propriétaire de l’agence.
- Il est parti à l’hôtel. Nous avons du travail. Un casting dans une demi-heure.
Marie n’en croit pas ses yeux. Elle est en train de raconter sa vie à cette petite grue maintenant ? Pourquoi vient-elle de dire à cette totale inconnue qu’ils vont faire un casting à l’hôtel ? En quoi ça la regarde ? Elle n’aurait pas dû, parce que maintenant, c’est sûr, elle va leur coller aux basques…
- Je sais, je viens pour vous demander l’adresse de l’hôtel…
- Comment ça tu sais ? Alors si tu sais, pourquoi n’as-tu pas l’adresse ?
- Parce que le mec m’a dit de te la demander…
Marie regarde l’effrontée de haut.
- Ecoute petite, le mec s’appelle Pierre, un. Deuxio, je ne te permets pas encore de me tutoyer. Je ne suis pas sûre d’aimer ta façon de faire. Si tu veux être mannequin, tu devrais peut-être apprendre les bonnes manières.
Quoi ?! La voilà qui re-divague ! Si tu veux être mannequin ?! Mais elle rêve !!! Qu’est-ce qui lui prend de dire à cette folle, si tu veux être mannequin…  c’est la température qui la fait délirer ou quoi ? Elle a chaud. Ce mal de gorge aussi ? Elle lui a dit qu’elle n’aimait pas ses manières. Ca c’est un bon point. Non, mais pour qui se prend-elle cette… cette… godelurotte ? Ce féminin créatif, c’est comme le calme avant la tempête, un mot gracieux pour ne pas en dire un autre, plus explicite, mais qui la soulagerait peut-être. Pour l’instant, c’est une manière de se dire que tout va bien, que tout est under control. Elle ne va pas se laisser enquiquiner par cette…
- Alors, c’est quoi, l’adresse de l’hôtel ?
- Pour quoi faire ? Tu ne trimballes pas de photos de toi dans ton sac, je présume… alors tu ne peux pas venir au casting.
La voilà qui continue ! Comme s’il était naturel que cette paysanne mal dégrossie vienne au casting ! Et si la fille lui met des photos de vacances sous le nez ou même des photos d’identité, ça y est, elle est cuite !

.../...

-  Il m’a dit que je pourrai venir à l’hôtel.
Pierre est devenu il. La fille est maligne. En tout cas, elle n’est pas sourde. Son entêtement est désespérant et vulgaire maintenant. Pierre exagère quand même, il n’a pas du y aller de main morte pour qu’elle se cramponne à ce point.
- Tu es sûre qu’il ne t’a pas donné le numéro de sa chambre plutôt ? 
- Si, c’est le numéro 1871. Mais il ne m’a pas donné l’adresse de l’hôtel.
Elle recommence avec l’hôtel. Tiens, 1871, c’est l’année de la création de l’empire allemand. Bismarck est le principal artisan de cette victoire politique. Pour un peu, Marie pourrait lui en raconter des tartines, à Birgit, sur l’histoire de son pays. Ca la détendrait peut-être. Au lieu de ça, elle commence à s’énerver. Birgit l’énerve, et même de plus en plus. 
C’est pathétique. Il ne sent pas le sexe du loup se tendre derrière son tablier ce petit chaperon aux cheveux rouges et la culotte déjà humide ? Ma parole, elle le fait exprès. Mais c’est vrai aussi que le casting a lieu dans la chambre de Pierre, qui est une suite, avec la place qu’il faut pour recevoir. Un salon avec des fleurs et des chocolats Ritter. Une bonne marque de chocolats. Avec des anges replets qui s’étalent sur la couverture de la boîte dans un ciel sans nuages, trop bleu, trop beau, un ciel qui ne peut pas durer. Et la chambre tout à côté. La chambre quand même. On sait ce qui peut se passer dans une chambre, non ? Elle le sait sûrement, ce qui se passe dans une chambre cette petite salope, ça y est, le voilà le mot, et c’est pour ça qu’elle veut venir à l’hôtel. Ca ne la dérange pas plus que ça, de passer dans le lit de Pierre pour être mannequin elle se dit. Elle a l’habitude, c’est sûr. 
En fait, ce que n’aime pas Marie, c’est l’air vicieux de ses yeux. L’évidence. Et le danger. Le danger du vice dans ses yeux. Calme-toi Marie, calme-toi. Elle ne sait peut-être pas ce qui va lui arriver cette petite godiche, elle est naïve, c’est tout. Quand même, Marie se rappelle le rire grossier, les mines et les contorsions grotesques il n’y a pas une heure. Pas si naïve que ça. Elle se rappelle aussi, je peux devenir une star s’il s’occupe de moi ? Non, pas naïve du tout. Plutôt gonflée même. Sur les starting-blocks elle est cette petite garce mal fagotée qui se prend déjà pour une autre. 
- Ecoute, Birgit. Tu ne vas pas t’en rendre compte tout de suite, mais je vais te rendre un grand service aujourd’hui. Oublie le casting. Tu ne peux pas être mannequin. Je ne vois pas ça pour toi, c’est tout. C’est moi qui décide si une fille va travailler ou non, tu comprends ? Pierre s’est peut-être un peu trop emballé, mais crois-moi, pour toi, ce n’est pas possible. 
Ouf ! C’est dit ! Marie a lâché son speech. Avec peut-être trop de plaisir, OK, mais bon elle l’a lâché. Elle voudrait que Birgit s’en aille maintenant parce qu’elle a beaucoup de choses à faire encore, remercier les membres du jury et les sponsors et leur donner rendez-vous pour dîner, saluer les deux équipes de télévision, appeler Greta et l’inviter aussi à dîner, organiser le rendez-vous du lendemain avec les filles à l’agence.
   
La fille reste plantée près d’elle, l’air bizarre maintenant. Pourquoi ça serait pas possible pour moi ? J’ai vu beaucoup de filles dans les magazines qui sont moches et pourtant elles sont dedans, dans les magazines. Je les ai vues… Bon, deux fois magazine, le mot l’obsède, c’est sûr. Marie aime les listes, mais n’aime pas les répétitions. Les mots répétés dans une phrase. Cette indigence de langage, comme un tic. On peut parler simplement sans répéter. Répéter, c’est schizophrénique. C’est un signe que quelque chose ne gaze pas tout à fait. Des ratés dans la bobine d’induction. De l’air dans les tuyaux du cerveau. L’opération mentale qui ne remonte pas des faits à la loi, du singulier au général mais qui pédale dans la choucroute garnie du langage à tout faire.   
Marie ne va pas s’exciter. Après tout, elle n’est pas psychiatre, qu’est ce qui lui prend ? C’est vrai que la beauté est une question d’appréciation, c’est son droit à cette fille de les trouver moches les mannequins, et de se trouver belle, mais lui expliquer le pourquoi du comment du modeling, là, tout de suite… Est-ce que les grands cuisiniers vous donnent les secrets de leurs plats ? Non ? Alors… Ils vont même jusqu’à écrire des livres de recettes mais quand on suit leurs conseils, ça ne marche jamais comme ils ont dit. Il y a toujours un truc qui déconne. Non, elle va lui dire pour l’appréciation, ça va peut-être la calmer. Et puis non, elle ne va rien lui dire. Elle ne comprendrait pas cette petite conne et elle s’énerverait quand même. Non, rien. Ne dis rien.
- C’est une question d’appréciation tu comprends ? Mais de mensurations aussi. Tu n’as pas la taille suffisante.
- C’est quoi la taille ?
- Un mètre soixante quinze minimum. Ecoute, je  n’ai pas le temps, là…
- Je peux mettre des talons. Je suis sûre que toutes les filles mettent des talons. J’en vois plein dans les magazines, des filles avec des talons. Ca ne se voit pas sur certaines photos, mais je suis sûre qu’elles en mettent.
- Les filles ne font pas toujours des photos en portant des talons. Elles font des photos en maillot de bain aussi, elles font des défilés pour des couturiers aussi. Là, elles portent des talons c’est vrai mais…
Marie qui s’embourbe, se contredit même. Ce qu’elle voudrait dire en fait, c’est qu’être mannequin, c’est une question d’allure, de grâce. On l’a ou on ne l’a pas. Point barre. Avec ou sans talons. Merde alors ! C’est ça qu’elle veut entendre cette schleu bornée ? Mon Dieu ! Aidez-moi ! Marie n’en peut vraiment plus de cette tache. 
La tache qui continue avec son tutoiement insolent, 
- En fait, tu peux pas me saquer hein ?... Tu veux que je te dise ?... 
Elle savoure trois secondes de jouissance en regardant Marie dans les yeux et lui crache, 
- T’es rien qu’une mal baisée. 
Marie regarde Birgit en fermant les yeux et prend une longue inhalation, elle fait appel à toute son intelligence, mais, sans savoir d’où vient cette explosion qui gronde et grandit dans son ventre et lui monte au cerveau comme la fumée d’un joint qu’on a avalée trop vite, elle file une torgnole magistrale à Birgit qui, déséquilibrée, s’affale de tout son long par terre.







      Leni était assise devant Marie dans le petit cabinet et attendait. Pierre était parti s’entretenir avec Sabina Von Stadt des subtilités du métier. La petite Autrichienne gardait les mains sur ses bras croisés, la poitrine couverte de son soutien-gorge, les jambes serrées, protégées par ce collant noir opaque qui agaçait Pierre. Elle avait quitté ses chaussures neuves et attendait. Tu dois retirer ton soutien-gorge, s’il te plaît. Il faut que je voie tes seins. Lève-toi et tiens-toi droite devant moi. Leni obtempéra sans rien dire. 
Elle se tenait maintenant seins nus devant Marie avec son sourire de madone, faisant plisser son petit nez adorable, les mains sur la taille. On découvrirait une variante de cette pose quelques années plus tard dans une photo qui ferait le tour du monde. Leni offre son dos nu et ses fesses rondes dans un jean usé, on voit un peu de la courbure douce de ses seins, cette attente, le jean est bleu, du bleu fatigué des empreintes, du bleu des fresques de Piero della Francesca, délavé comme celui des voyages qu’on aurait pu faire et des rêves qu’on a encore dans la tête, elle a agrippé ses pouces à la ceinture du jean, son visage de poupée se retourne vers l’objectif, le photographe l’a attrapé à l’instant magique où elle plisse encore le nez comme une enfant rebelle, ses cheveux d’or brun volent vers son épaule fière comme un drapeau glorieux.    
A quel moment oublie-t-on sa pudeur ? Quand elle n’est qu’une invention pour faire croire à la décence, cette réserve qui n’est qu’une politique s’il n’y a pas de malaise à cacher ni désamour de soi, ou quand elle n’est pas encore le voile du fantasme ? Peut-être qu’en regardant les photos des idoles nues, on croit s’approcher au plus près de leur corps, ou en achetant des clichés, en posséder le secret. Ce n’est qu’un leurre de plus. Possède-t-on jamais quelque chose ? On veut le croire pour se consoler de ne posséder personne. 
Leni aimait ses seins et n’avait pas envie de les cacher. Ils étaient comme deux pommes dont on avait envie de saisir la rondeur. Ce n’est pas pour rien que l’on dit de certaines femmes qu’elles sont appétissantes. Marie regardait cette jeune fille et elle avait l’impression incroyable qu’elle n’était pas seule dans la pièce, qu’ils étaient plusieurs, mais non, il fallait arrêter cette schizophrénie, c’était absurde. Elle eut envie de lui jeter une étoffe qui la cacherait des autres regards que le sien, des regards de voyous, de ceux qui ne la méritaient pas, elle trouvait presque indécent d’observer cette féminité splendide, comme un trésor qu’on ne doit pas révéler à tout le monde, elle qui en avait pourtant vu d’autres. Elle n’avait pas encore regardé le reste de son corps mais la poitrine de Leni, ses épaules superbes, étaient sans conteste, avec son visage raphaélesque et ses cheveux de soie, les cartes majeures de son jeu et Marie le lui dit. 
- Tes seins sont très beaux, ronds, on dirait des pommes, tu fais quoi ?  du 90 B ?
- Je crois oui… tenez, voilà mon soutien gorge… vous pouvez vérifier, c’est en allemand… Leni le lui tendit et quand Marie le prit dans ses mains, il était tout chaud de son inquiétude, elle en fut légèrement troublée. Elle vérifia la taille.
- Tu as de belles épaules… larges… enfin, la ligne de tes épaules est droite… tu te tiens très bien… c’est ton dos que j’ai vu en premier tu sais, dans ce bar. C’est ton dos qui m’a donné envie de rester pour te regarder…
- J’enlève mon collant maintenant ? dit Leni, pourtant inquiète. 
- Oui, enlève-le. Et ta culotte aussi, je dois voir tes fesses, tourne lentement devant moi, n’aie pas peur, dit Marie qui se sentit soudain mal à l’aise dans cet examen  dégradant. 
- Je n’ai pas peur, dit Leni. Enfin… si… peut-être… 
2ème extrait.
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“Tellement belles” - Roman - © Calmann-Lévy / Editions N°1 - 2007 - 356 pages